Qu’importe le flacon ?

Auteur : Lise Lemerle

Jean-François Millet. Des gros sabots, au sens propre : c’est le sujet de ses peintures. Des gros sabots, au sens figuré : c’est la facture de ses peintures. De bonnes compositions, les gestes des personnages pris sur le vif… tout cela prouve l’attention que le peintre porte à son sujet. Mais pourquoi ces paluches à peine esquissées ? Ces visages flous, incertains ?

Millet. Première salle de l’exposition. Des portraits. La salle est intitulée, à juste titre, « Millet avant Millet » : on ignorait cette partie de son œuvre. Par la suite, on découvre, avec intérêt, des aquarelles et des croquis de la main du peintre. Le trait, plutôt délié, contraste avec la lourdeur de la touche des peintures à l’huile. On voudrait voir plus de dessins. Le style pesant des peintures nous ennuie. Pire, il nous dérange. Mais pourquoi ?

On s’arrête devant un croquis.

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Paysanne adossée contre une meule, Jean-François Millet, 1851.

Le geste de la main retenant la cheville est juste. À quelques pas du dessin, il y a ce tout petit tableau, intitulé La précaution maternelle. Ici encore, l’image est juste. Les gestes des personnages nous touchent. Pas de visage, pas de détails minutieux, mais une situation toute simple.

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La précaution maternelle, Jean-François Millet, 1855.

Une situation du quotidien. Une anecdote. Et pourtant, ici encore, quelle lourdeur ! Est-ce parce qu’un tel sujet ne méritait pas la noblesse que lui attribue le médium de la peinture à l’huile ? Le dessin, plus humble, se prête-t-il mieux à ce genre de sujet ? Non, ce n’est pas cela. Le malaise vient d’ailleurs.

On trouve la clef du problème dans un décalage, en voyant ce que l’on ne regardait pas. Et l’on regarde alors ce que l’on voyait sans en avoir conscience : le cadre de l’image ! Un cadre monstrueux de dorures, aux proportions ridiculement grandioses. Oui, c’est bien ça. Le malaise vient de là. Ce cadre tue l’image.

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On poursuit l’exposition. Mais l’on ne voit plus que des cadres dorés. Des cadres riches, stupides. Seuls les dessins sont épargnés par ces cadres. Des cadres violents. Surcharges superflues. Des cadres bourgeois. Des écrins blingbling pour d’humbles sujets. La générosité des toiles est gâtée par l’ostentation des cadres. Oui, les peintures de Millet nous auront fait VOIR leurs cadres.

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À la sortie de l’exposition, on passe par une annexe de celle-ci, où les clichés de grands photographes américains sont présentés comme l’héritage de Millet. De simples photos, présentées nues (reproductions punaisées à même le mur), des cadres sobres. On respire. Pauvre Millet !

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Mme Dodson et un de ses neuf enfants, Arthur Rothstein, 1935.

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Enfin, parce l’anachronisme est parfois éloquent, voici un petit photomontage réalisé en guise de conclusion :

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La précaution maternelle, photomontage, 2017.

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