Est-ce parce que j’ai glissé ? Hier, j’ai tué un ange. Ou plutôt, disons qu’il était mort quand je suis arrivée. Là, étendu sur le sol. Sur le plan de la visite, c’était le numéro 5. L’œuvre s’appelait simplement Angel. Quand je suis arrivée, cinq ou six personnes s’attroupaient autour de la figure de cire. J’ai voulu regarder aussi.

Glissant ma tête entre deux épaules, j’ai vu un ange d’une extrême vieillesse, immobile, tout nu, tout déplumé, son drap blanc en bataille, les jambes malingres. Dans l’entrée étroite de la tour, on se bousculait un peu.

Je suis montée, me disant que je reviendrais à cette œuvre en redescendant. J’ai gravi les quatre étages de l’escalier en colimaçon. En me penchant par-dessus la rampe, je pouvais toujours voir en contrebas le vieil ange écrasé sur le ventre. Vu de là-haut, le public paraissait être un groupe de badauds attroupés autour d’un cadavre encore chaud.

Puis, constatant que les gens commençaient à monter eux-aussi, j’ai décidé d’en profiter pour redescendre.

Et j’ai glissé.

De trois marches. Je me suis rattrapée à temps, mais l’escalier était en fer, et ma chute a fait un bruit assourdissant. Tout le monde a levé la tête dans ma direction. Quand on chute – ça ne rate jamais – le cœur bat fort, on se sent ridicule et honteux. Mon bras gauche me lançait.

Quelqu’un, arrivant à ma hauteur, m’a demandé C’est vous qui l’avez poussé ? J’ai été comme foudroyée. Est-ce parce que je venais de tomber ? À cause de l’adrénaline ? Tout s’est cristallisé. J’ai pensé Oui je l’ai tué.

Parvenue au bas de l’escalier, je me suis approchée de l’ange. J’ai vu ses yeux fermés, son air abandonné à la mort. J’ai voulu encore jouer le jeu de l’œuvre, broder de la fiction, essayer d’imaginer les causes de sa mort. Un suicide, peut-être. Ou bien, la vieillesse, simplement.

Mais, au fond de moi, montait une tristesse infinie. Quelque part, je restais persuadée de l’avoir tué. Je me sentais responsable.

Est-ce parce que j’ai glissé ? Hier, j’ai tué un ange.